Paul Bahoken : « l’équipe du Cameroun manque de leader et de meneur de jeu »

L’ancien Lion analyse les performances des équipes africaines et se dit prêt à apporter sa pierre à la reconstruction du football local.

M. Paul Bahoken, quel premier bilan faites-vous de la participation des cinq équipes africaines à la Coupe du monde qui se déroule en ce moment au Brésil ?

C’est un bilan un peu mitigé. Mais je pense que cela est dû au fait qu’il n’y a pas eu une bonne préparation des équipes nationales africaines. La preuve en est qu’il y a trois de ces cinq équipes (Nigeria, Ghana et surtout Cameroun, Ndlr) qui réclamaient les primes de match. Donc, vous comprenez qu’en clair il y avait encore des problèmes.

Quand vous regardez ces équipes africaines jouer, sont-elles à la hauteur ?

Disons qu’il y a une petite ligne de démarcation entre les équipes européennes et africaines, notamment sur le plan tactique où les européens sont plus aguerris. C’est pour ça que personnellement je pense qu’il nous faut encore énormément de travail pour essayer d’approcher le niveau de ces équipes européennes.

Votre pays le Cameroun a fait pire qu’en Afrique du Sud, en encaissant beaucoup plus de buts, neuf au toal, pour n’en marquer qu’un seul et pour terminer la phase de poules avec zéro point. Qu’est-ce qui peut justifier un tel fiasco selon-vous ?

Je m’étais déjà exprimé sur ce point. L’équipe est partie avec pas mal de blessés et une mauvaise préparation. C’est ce qui explique cette déconfiture-là à la Coupe du monde. Pour terminer, je vais dire que le leader, le meneur de jeu, on n’en a pas eu.

Vous parliez tantôt de préparation. Il y a eu cinq jours de break entre le match contre l’Allemagne et la rencontre amicale contre la Moldavie à Yaoundé. Le fait d’avoir fait un break, peut-il avoir causé un relâchement ?

Je pense que ce break a causé beaucoup de tort. Quand vous mettez une préparation en place, par exemple d’un mois, c’est en principe sans relâche. Si vous relâchez, c’est qu’il faut recommencer à zéro. Ces cinq jours que l’équipe nationale a eus, ont dû peser négativement sur la sélection nationale.

Au Cameroun, il semblerait que les joueurs ont été influencés dans leurs batailles par vos amis, qui sont la bande à Milla, Bell, Mayebi, pour réclamer les primes…

Je prends cette question de «manipulation» entre les pincettes. Je ne pense pas que ces gars aient été manipulés. Vous savez, ce sont des grands garçons, parmi eux il y a des pères d’enfants. Pour moi, j’estime qu’ils étaient en plein droit de réclamer leurs primes de match. Maintenant, si ça n’a pas fonctionné, j’insiste toujours sur la préparation qui n’a pas été très bien faite ; et sur le fait que beaucoup sortaient d’un championnat rigoureux. La préparation en soi n’a pas été bien faite.

Mais, est-ce que cela peut justifier le fait que les joueurs aient refusé le drapeau national pour des couleurs qu’ils prétendaient aller défendre ?

Je ne vois pas ce que le drapeau vient chercher sur le terrain. C’est eux qui doivent aller vers le drapeau. Ce ne sont pas les gens qui doivent apporter le drapeau pour les joueurs. J’ai trouvé que c’était une supercherie, tout simplement. Nous, à notre époque, quand on jouait, est-ce qu’on nous apportait des drapeaux sur le terrain? Pas du tout ! Je trouve que c’était une petite farce de la part des dirigeants de notre football.

Maintenant que le président de la République a instruit ce Premier ministre dont on a refusé le drapeau, de mener une enquête dans un délai d’un mois, Comment interprétez-vous cela ?

Je pense que le président aurait pu prendre une décision immédiatement. Attendre un mois, ça sous-entend qu’il y aura des ententes.

On parle d’une enquête…

Mais bien sûr. Je sais de quoi je parle. Il y aura des arrangements.

Mais le communiqué de la présidence de la République indique clairement que c’est pour pouvoir sortir le football camerounais de là où il se trouve…

Ce problème-là, sortir le football camerounais de là où il se trouve, est un vieux problème. C’est un problème qu’on aurait pu éradiquer depuis, en mettant les gens qu’il faut à la place qu’il faut. Je n’ai rien contre personne mais moi je dis que c’est pour le bien du football camerounais. Je ne peux pas concevoir que des amateurs puissent diriger des professionnels, non. Et ces dirigeants qu’on nomme, qu’est-ce qu’ils font ? Ils ne cherchent pas à s’entourer des conseillers, ceux qui maitrisent le football, ceux qui peuvent donner une voix au football. Mais non, on se contente d’aller au quartier chercher des amis, des copines, etc. Tant que ce sera comme ça, notre football n’avancera pas.

Sur le strict plan sportif, le football a-t-il évolué ? En 30 ans, quelle différence fondamentale, quand vous regardez les matches, y a-t-il entre le football pratiqué aujourd’hui et celui que vous pratiquiez à votre époque ?

Beaucoup disent que notre époque est révolue. Quand vous assistez à un match de football aujourd’hui, je pense que vous vous ennuyez.

Vous parlez du Cameroun ou de manière globale ?

Que ce soit au Cameroun ou ailleurs.

Il n’y a plus trop de génie ?

Avant, le spectateur se levait et il disait je m’en vais voir un tel. Aujourd’hui, c’est comme si tous ces gens-là sortent d’un seul moule et jouent de la même façon. Il n’y a pas de créativité, il n’y a pas de geste technique, il n’y a pas de démarrage, il n’y a pas de vitesse. Ça manque beaucoup.

C’est peut-être l’emprise de l’argent sur le football. On court vers le résultat immédiat. Il y a de moins en moins de fantaisie…

Oui ! Vous parlez de fantaisie, c’est vrai. Le public aime le spectacle, aime jubiler, voir des actions. Quand je vois des matches aujourd’hui, je ne vois rien d’extraordinaire.

Même quand vous voyez Messi, Neymar, Christiano Ronaldo jouer ?

Je parle de notre football africain, celui du Cameroun en particulier. Il n’y a rien, rien n’a évolué. Je pense qu’il faut mettre les gens qu’il faut et les joueurs qu’il faut aussi.

Et si vous aviez un remède pour ce football camerounais là, à quel niveau doit-on mettre l’accent ? Le football jeune, les infrastructures ?

Il faut réorganiser notre football, partir de la base. Les Français ne sont pas bêtes. Quand ils te disent que dans dix ans on va faire ceci, ils commencent à travailler pour dix ans. Or, chez nous, on bricole.

C’est le travail de la Direction technique nationale ?

Par tout le monde qui est concerné par le football. Moi qui suis technicien, je peux aller demander des conseils à un secrétaire. Le secrétaire peut à son tour demander à quelqu’un d’autre. Donc, on a besoin de tout le monde pour pouvoir reconstruire notre football. Je vais vous dire honnêtement, puisqu’il s’agit du football professionnel, qu’on essaie de prendre quelques anciens footballeurs professionnels, même en tant que conseillers, qui puissent vraiment nous ouvrir les portes du vrai football professionnel. Tant qu’on va composer avec les amateurs, on ne pourra jamais avancer.

On va terminer, que devient Paul Bahoken ?

Je suis toujours là. J’ai un pied au Cameroun et un autre pied en France. En France, je suis toujours dans le domaine sportif en tant que membre de la Commission technique du football de la Côte d’Azur, qui englobe les villes comme Monaco, Nice, Caen, Grasse, Marseille, etc. Parallèlement, je suis devenu parfumeur dans la ville de Grasse.

Paul Bahoken, que pouvez-vous apporter au football camerounais, si jamais vous êtes appelé à apporter votre expertise ?

Ecoutez, je suis un technicien. On m’a apporté beaucoup de soutien quand j’ai commencé à jouer au football. J’ai acquis beaucoup d’expérience en tant que footballeur, en tant qu’entraîneur. Aujourd’hui, si on me privait d’apprendre aux jeunes ce que moi on m’a appris, ça me ferait énormément mal au c?ur. L’aspect financier, ça se met de côté. Je veux apprendre aux jeunes ce que j’ai appris.

Ce que vous faites d’ailleurs pour les Français…

Je continue à oeuvrer pour les jeunes en France, les moins-jeunes, ainsi de suite. Pourquoi ne pourrais-je pas aussi donner un coup de main au Cameroun ? Je ne force personne à m’intégrer mais je vous dis, et j’insiste là-dessus, qu’ayant une très grosse expérience dans le domaine footballistique, je peux, avec cette expérience-là, aider les jeunes. Si on m’en en prive, je pense que ce sera ma plus grosse déception.